Vagabondages culinaires

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Photo, Pinterest.

"Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir."

Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

Nous avons tendance, nous les français, à nous faire une montagne de la cuisine, pardon de "l'art culinaire". Ce ne sont pas les émissions de téléréalité sur le sujet qui me contrediront... Mais la cuisine, c'est avant tout du plaisir, des souvenirs, de la transmission et surtout, c'est très personnel. Ici plus qu'ailleurs, il est question de goût, et le goût, comme les couleurs, ça ne se discute pas.

À l'instar de Marcel Proust, nous avons tous au fond de nous des mémoires culinaires, des saveurs qui nous transportent dans le passé, qui déclenchent en nous des émotions fugaces. Le temps a sublimé ces goûts pour les rendre impossibles à reproduire. Combien d'entre vous gardent précieusement une recette de grand-mère que vous avez fait et refait sans jamais atteindre le résultat espéré ? Le souvenir a rendu ce goût impalpable et tellement parfait qu'il en est devenu irréel. Oui, la cuisine transmet des émotions et crée le lien entre générations.

L'art culinaire se tourne vers la technique pure acquise pendant l'apprentissage et les écoles, pour atteindre le résultat exigé, alors que la cuisine nait de la spontanéité, de la sincérité. Loin de moi l'idée de critiquer les professionnels, au contraire, ils créent des merveilles. Ce qui m'ennuie, c'est que maintenant, tout le monde se vante de pouvoir les réaliser, mais sans ce savoir-faire. Restons des amateurs, trompons-nous, recommençons pour le plaisir de bien faire. Adaptons-nous aux ingrédients dont nous disposons sans courir les boutiques pour trouver la petite chose qui manque à la recette. Arrêtons surtout de vouloir faire un fraisier en hiver, ou un risotto aux asperges vertes en octobre... Utiliser les produits de saison permet de varier les recettes, de goûter à tout et privilégie les circuits courts de distribution, c'est donc un bénéfice pour tous ! 

Il n'y a pas si longtemps, je me mettais une pression énorme pour la préparation d'un repas, mais une rencontre a changé ma vision des choses. Elle a eu lieu au mois d'Août 2014, à Venise. J'ai eu la chance de participer à un cours de cuisine chez la merveilleuse comtesse Enrica Rocca (http://www.enricarocca.com). Sa vision de la cuisine a complètement bouleversé la mienne. De bons ingrédients avant tout (on ne fait pas de miracle à partir de produits médiocres), de la générosité et surtout pas de stress, le reste viendra, à condition d'avoir de bonnes bases. 

Le métier de conseillère culinaire me donne l'occasion de transmettre cette vision. En atelier, on partage, on essaie de nouvelles techniques, on donne son avis et on échange notre savoir-faire, sans jamais trop se prendre au sérieux. Cette attitude face à la cuisine engendre une atmosphère décontractée et spontanée qui fera passer un moment plaisant à tous... N'est-ce pas ce que l'on recherche ?