Bernard Ganachaud est mort

C’est avec grande tristesse que nous apprenons la mort du Meilleur Ouvrier de France 1979 Bernard GANACHAUD en ces jours de fêtes de fin d’année.

Les obsèques auront lieu en l’église Notre Dame de Lourdes au 130 rue de Palleport 75020 à Paris, le matin du 4 janvier 2016.

Nous partageons avec vous ce texte de Jean-Philippe de Tonnac.
Vous trouverez l’original sur Facebook

C’est une magnifique et immense figure de l’histoire de la boulangerie française qui est partie durant ces fêtes de fin de l’année 2015: Bernard Ganachaud. Thierry Marx qui trouva chez lui les ferments de sa vocation de boulanger puis de cuisinier, puis de chef, disait qu’il incarnait une certaine idée de la Résistance (voyez la vidéo que nous avions tournée au Mandarin en 2013). Résistance à cet irrémédiable déclin de la profession amorcé dans les années 1960-1970 que rien ne semblait devoir enrayer. Il y eut, comme souvent dans ce pays, des Gaulois irréductibles prêts à défendre les armes à la main des valeurs auxquelles ils croyaient de toute leur âme. Les armes de Ganachaud s’appelaient : fierté ; courage ; rigueur ; acharnement ; intransigeance ; fraternité.

« Son culte de la personnalité le rapproche de Poilâne, écrivait l’historien Steven Laurence Kaplan (‘Le meilleur pain du monde ‘, Fayard, 1996) : un pain à son nom (la gana), le sens de la publicité, une stratégie commerciale mûrement réfléchie, une vision culturelle aussi bien que commerciale, et une vocation latente d’intellectuel : fils de boulanger comme Poilâne, Ganachaud aspirait à devenir avocat, mais finit par céder aux instances de son père qui préférait le voir entrer dans le fournil. (…) Pour faire du bon pain, il faut des qualités morales aussi bien qu’un savoir et une certaine intuition empirique et pratique. A un débutant qui demanderait comment devenir un maître dans la profession, Ganachaud répondrait : « Avez-vous, oui ou non, la vocation à souffrir ? » Il faut de la rigueur, « l’amour du travail » et une « disponibilité » permanente pour travailler dur et sans relâche. Il faut être disposé à sa propre remise en question ». »

Par un hasard fécond de ma vie, nous avions en arrivant à Paris fait le choix de nous installer, avec notre premier enfant, je parle de la fin des années 1980, à proximité immédiate de ce grand vaisseau arrimé au numéro 150 de la rue de Ménilmontant, certainement à l’époque la boulangerie la plus emblématique de ce renouveau boulanger qui discrètement s’amorçait dans un paysage de pain blanc trop vite poussé mais sans rien dans le ventre sinon des glucides et de mauvais glutens. Le spectacle vivant que nous offraient de larges baies vitrées n’avait évidemment pas manqué de capturer mon attention : spectacle d’une panification à visage découvert, spectacle d’un extraordinaire ballet incessant du matin à la nuit tombée qui concernait à la fois la geste panaire sous la conduite en chef de Barnard Ganachaud, tout de blanc vêtu, en toutes circonstances, mais encore toutes les étapes de la vente assurée par un personnel féminin, nombreux, qualifié, mais encore l’interminable queue des clients venus parfois de fort loin chercher leur drogue. Je peux dire que, d’une certaine manière, mon amour du pain s’est nourri de cette ferveur qu’inspirait cette ruche boulangère.

Lorsque je lui demandai, quelques années plus tard d’entamer des entretiens en vue de raconter son parcours, depuis Nantes jusqu’à Paris, et d’en faire éventuellement un livre, il accepta, avec le consentement de son aréopage, Josette, sa femme et ses trois filles, Isabelle, Valérie et Marianne – mais buta d’emblée sur l’évocation de ces années passées aux côtés de son père boulanger, ce tête à tête dans le fournil qui réveillait des souvenirs à priori bien douloureux. Les larmes montèrent à ses yeux comme bien souvent chez lui et nous renonçâmes. Mais jamais à nous revoir, mais jamais à partager notre amour de l’artisanat boulanger, du pain vrai, de son rayonnement dans la société des hommes et jusque dans la modernité. J’ai rarement été ému par un homme comme je le fus par celui qui finit par embarquer ses trois filles dans l’aventure du pain et tant d’autres parmi lesquels je me compte. C’est un homme que j’ai beaucoup aimé.

Les Chinois parlent de « mandat céleste » pour dire la façon dont chacun d’entre nous débarquons dans ce monde pour accomplir quelque chose qui, dans l’ordre caché du monde, compte d’une manière particulière. A la condition de découvrir évidemment ce qu’est ce « mandat céleste », la plupart d’entre nous quittent ce monde sans avoir su à quoi les astres les destinaient. De toute évidence, le mandat céleste de Bernard Ganachaud était de réveiller une profession assoupie, de redonner aux artisans le goût de se battre face à tous les défis de la modernité. Son apport est immense, immense le vide qu’il laisse.